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Intervention colloque de Rennes2 "Ecritures en ligne", 26.09.02 Télécharger - 40 ko en rtf
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Analyse du récit/ Serial Letters

Interview manuscrit.com Août 2002

Le Travail de la Forme - Publié dans le magazine Archée

Les formes libres - Communication pour les journées d'étude (15-16-17 mai 2002) de Paris VIII

Comment j'ai découvert l'é-criture - Publié sur www.e-critures.org

Pourquoi je suis jaloux de Pikachu - Publié sur www.agraph.org

Interview pour Marie Lebert

Interview pour www.manuscrit.com

 

 


Puisque le début de Serial Letters était pour moi l'occasion d'approcher le récit hypertexte, chose que je n'avais pas faite jusqu'à présent, je voudrais formuler quelques observations - qui se placent d'un point de vue de praticien, et non de théoricien, et qui s'appuient sur une expérience du récit traditionnel pour parfois tenter des comparaisons.

1 - Est-ce facile?

Rien de facile dans le récit hypertexte multimédia!
Ce n'est pas parce que l'on dispose d'une palette plus large d'expression que la création en est d'aucune façon facilitée. Peut-être même est-ce le contraire : alors qu'un récit littéraire doit tirer sa force de la minceur du mode d'expression (l'écrit), le récit hypertexte multimédia doit au contraire jongler avec plusieurs modes d'expression et plusieurs paramètres (écrit-image-son-temps-mode de réception de l'oeuvre, etc...) qui en compliquent considérablement la réalisation.

2 - Pourquoi le récit?

Est-il indispensable d'écrire un récit hypertexte-multimédia?
On peut se poser la question. Alors que le poésie trouve tout de suite ses marques sur l'écran, et que les réussites dans ce domaine sont déjà nombreuses, il en va tout différemment du récit hypertexte-multimédia.
Si l'on en croit Paul Ricoeur (Temps et Récit), le récit serait une nécessité pour l'homme.
Mais s'agissant du mode d'expression qui nous intéresse, la notion de récit clos sur lui-même, tel que le définit Paul Ricoeur, apparaît tout à fait antinomique.
Le récit hypertexte multimédia va même à l'encontre de toute idée de clôture, puisque le lien hypertexte, l'interactivité, permettent au lecteur-internaute de s'échapper à tout moment d'un fil narratif immuable, soit à l'intérieur de l'oeuvre, soit dans l'espace ouvert du Net.
Partons quand même sur l'hypothèse que le récit est une nécessité : une intrigue, des personnages, des thèmes, etc... Mais la progression du récit, et surtout son achèvement???
C'est là que les problèmes commencent...

3 -La gestion du temps

Le premier de tous auquel on se heurte, c'est celui de la gestion de la progression. Ce qui confirme bien ce que disait Luc dall'Armellina : le principal problème du récit hypertexte, c'est la gestion du temps.
Le problème est : comment construire une intrigue, comment faire vivre des personnages sans un minimum de cohérence psychologique et narrative, sans progression dramatique.
J'avais fait la réflexion à Anne-Cécile Brandenbourger, à propos de "Apparitions Inquiétantes" (sur www.00h00.com), que son récit fonctionnait bien parce que tous les personnages - et dans une certaine mesure aussi, les situations - étaient archétypaux.
Avec des personnages hérités du polar, des personnages dont on connaît toutes les ficelles, on peut effectivement faire partir l'intrigue dans bien des sens : on sait que le lecteur ne sera jamais tout à fait pris au dépourvu. A rester dans cette optique, on risque de ne pas sortir de la démarcation, plus ou moins savante, mais la démarcation a ses limites.
C'est bien ce que Patrick Burgaud a pointé tout de suite dans mon récit, en disant "fais la même chose en vrai". Mon début se situait tout de suite dans la démarcation...pour éviter de désorienter le lecteur - mais aussi pour éviter de me désorienter moi-même.

4 - Le piège de la parodie

Si l'on prend des personnages - là j'étais parti sur une parodie de comédie mafieuse - archétypaux, on peut plus facilement gérer le saut dans l'inconnu.
Peut-être davantage qu'un problème de lecteur, faut-il pointer un problème de narrateur. Le narrateur, tellement habitué à construire une intrigue dans laquelle il maîtrisera soit une progression dramatique s'appuyant sur des personnages, soit une progression thématique s'appuyant sur des concepts, le narrateur, donc, va chercher à se raccrocher à quelque chose de connu, pour éviter la désorientation que produit le lien hypertexte.
Cette désorientation, pour moi, tient à l'absolue liberté induite par le lien hypertexte : on peut le placer n'importe où sur l'écran, on peut le faire pointer vers n 'importe quel URL - à l'intérieur de son récit tout comme à l'extérieur - le choix est infini. Dès que l'on a construit 5 ou 6 "pages/écran", le casse-tête est douloureux - alors qu'un livre, ou son anticipation dans l'acte d'écriture, induit mécaniquement, par la succession des pages, la succession des actes. D'où l'ornière de la démarcation, de la parodie, qui permettent certes de construire des pages/écran closes sur elles-mêmes - puisqu'elles sont comme des mini-théâtres au sein desquels les personnages évoluent entre leur logique propre de personnage, et leur rapport à des modèles pré-existants.
Certainement le piège dans lequel tombe le narrateur est-il de croire que la parodie produit du récit. Certes, la parodie produit du récit, et il en même de célèbres - comme Don Quichotte peut parodier les romans de chevalerie, avec ce bémol que Cervantès pousse la parodie tellement loin qu'il finit par s'en échapper.
Pour ce qui nous concerne, j'ai bien peur que la parodie ne soit qu'une façon de masquer le déséquilibre dans lequel se place le narrateur.
On peut toujours objecter que tout ayant été dit, que tous les récits ayant été racontés, la seule attitude cohérente serait de se situer dans un au-delà du récit... et cette attitude serait tellement adaptée au récit hypertexte de fiction, que la tentation serait presque impossible à éviter. Comment en sortir..dès lors que l'on ne s'appuie pas sur ces personnages archétypaux ("Apparitions Inquiétantes"), ou sur un modèle que l'on entend critiquer ("Non-roman" et sa critique des représentations archétypales du couple) ou encore sur une attitude critique et théorique à l'égard du récit? Comment surtout gérer la progression et l'achèvement?

5 - Déplacer le problème

Quand j'ai eu passé quelques heures à me casser la tête avec des problèmes de liens - vers quelle page faire pointer telle page, que j'ai écrite après la précédente, mais qui pourrait renvoyer à une autre page écrite bien avant?, etc... - je me suis décidé à n'installer, sauf exception, qu'un seul lien par page, et à respecter un ordre chronologique : chaque page pointe vers la suivante, le plus simplement du monde.
Je me suis rendu compte que ce retour à une forme traditionnelle de construction du récit me libérait au contraire au plan de l'intrigue et me permettait de m'éloigner du registre de la parodie : comme si finalement il fallait toujours garder une corde dans une main pour ne pas se perdre...
Ayant décidé que chaque page pointerait sur la suivante, je ne me suis plus posé de questions concernant la logique spatiale et temporelle de l'action. Au contraire, je laisse les situations se développer toutes seules, je laisse les personnages divaguer d'une identité à l'autre.
Je livre là, donc, un point de vue de praticien : chacun procède différemment.
Mais comme ce problème a déjà été évoqué au cours de nos échanges sur la liste "é-critures", je donne mon point de vue.
Si je me place en observateur, je peux donc considérer que j'ai commencé à m'écarter de ce qui aurait pu être une intrigue au second degré à partir du moment où j'ai perdu de vue les problèmes de construction du récit. Le récit se cherchait, et il a commencé à se trouver (je dis bien "commencé") à partir du moment où une progression a pu se mettre en place. Le problème, mais en est-ce un?, c'est que cette progression repose surtout sur des maniements de concepts...bien davantage que sur des personnages...
Voilà quelques notations, que je devrais compléter à mesure de l'acancement de mon travail.

6 -La clôture

Concernant la progression du récit, mon expérience m'a montré qu'il ne fallait pas se focalier dessus dans un premier temps, mais plutôt le régler in fine, un peu comme on réalise le montage d'un film. Tout d'abord, donnons nous de la matière à travailler...
Le problème de la clôture me semble davantage encore porteur de question.
Clôture du récit dans sa progression dramatique...et clôture du récit par rapport à l'espace ouvert du net...pour ce qui concerne les récits "on-line".
Dans "Serial Letters", j'avais fait un lien vers le Non-Roman de Lucie de Boutiny, et Marc Petska m'a suggéré de transformer ce lien, qui faisait sortir le lecteur de Serial Letters, en "Ouvrir une fenêtre dans le Navigateur", qui présente l'avantage de permettre au lecteur de revenir à l'URL précédent. Pour ma part, je ne ressentais pas comme un gène le fait que le lecteur sorte de mon site : il reviendrait bien, si l'envie lui en prenait. Pourtant j'ai suivi le conseil de Marc Petska, dont j'ai bien vu toute la pertinence : permettre le choix entre clôture et ouverture.
Enfin que dire d'un récit out-line, et donc clos sur lui-même - qu'il soit sous forme de CD ou autre - mais dont l'intrigue ne serait pas close au sens d'une conclusion absolue. Un récit sous forme circulaire, par exemple. Est-ce que cela pourrait être satisfaisant???
Selon Jean Clément, un récit est terminé à partir du moment où le lecteur interrompt sa lecture. Cela pourrait être une bonne conclusion : chaque lecteur décide lui-même où est la clôture de l'oeuvre.

Analyse de Serial Letters parue sur la liste de diffusion "é-critures" dédiée aux écritures électroniques, et reprise ici.