POURQUOI JE SUIS JALOUX DE PIKACHU

Publié sur le site www.agraph.org (Groupe de Recherche sur l'Art et les Productions Hypertextuelles)

Il existe d’ores et déjà un roman interactif que tous les jeunes gens connaissent de par le monde : Pokémon.
Et la question que je me pose, c’est : pourquoi n’est-ce pas moi qui l’ai écrit ? Pourquoi ne suis-je pas à l’origine de cette transe, qui saisit les jeunes joueurs/lecteurs/acteurs ? Pourquoi n’ai-je pas pensé plus tôt que par un jeu de questions/réponses les petits démiurges, Game Boy en main, ou clavier devant eux, pourraient se projeter dans un univers tout à fois proche et lointain, agir sur le déroulement d’une histoire aux ramifications presque infinies, et apprendre les bases de la notion de réseau (et ce qui va avec, la socialisation).
Tout cela pour un prix somme toute assez modique- si l’on oublie bien entendu de succomber au merchandising qui accompagne cette folie planétaire (mais dont ils pourront plus tard tirer les réflexions les plus pertinentes sur les notions de manque, d’addiction, et sur la puissance des bureaux de marketing de la société Nitendo).
Oui, pourquoi ? Alors que je rêve d’une écriture qui intégrerait les potentialités que nous offre l’informatique, et qui ferait entrer la littérature, - après que la gestion des comptes de sociétés, la conception d’objets tels que le Musée Guggenheim de Bilbao, la production d’images autrefois impensables, et quantité d’autres activités humaines l’aient précédées -, dans le XXI° siècle, ou pourquoi pas, ça fait encore plus riche, le troisième millénaire. Alors que je voudrais que mon lecteur passe du statut traditionnel de déchiffreur d’alphabet au statut de découvreur d’images-mots, de dénicheur de trésors cachés (clic et double-clic), de décrypteur des formes futures de communication.
Alors que je voudrais non pas le mettre au centre de l’œuvre (je crois qu’il est encore un peu tôt, et presque démagogique de le penser), mais au cœur d’une émotion nouvelle, totalement nouvelle, puisque les moyens de la créer n’existaient pas encore il y a seulement quelques années. Alors que je rêve mon lecteur happé, ébloui, saisi de cette même fièvre que j’ai pu connaître en parcourant les classiques, retourné par cette question que souvent je me suis posée : pourquoi cette forme-là, et celle-là et pas une autre, va-t-elle toucher si profond en moi ?
Se poser cette question, c’est vraiment le premier pas pour reconnaître que cette littérature-là, celle qui se fera avec un ordinateur (et qui saura conjuguer interactivité et directivité, qui saura intégrer la synthèse des images et du langage articulé) parviendra - je l’espère bientôt - à trouver la forme exacte, la plus exacte pour l’époque qui nous est donnée de vivre, de dire, de provoquer nos émotions.
Mais peut-être est-il déjà trop tard pour ceux qui ont été formés au papier et au stylo Bic. Peut-être faudra-t-il attendre quelques années, et le créateur dont les veines seront remplies de zéro et de un. Alors, celui-là, qui est peut-être encore dans les langes, ou qui en ce moment se bat dans une cour de récréation pour récupérer le poster de Meuuw 2 qu’un autre garnement vient de lui piquer, celui-là fera éclater les barrières entre le livre et l’écran, entre langage articulé et immédiateté de l’image, celui-là nous fera pleurer de honte et de bonheur, nous rendra meilleur et nous révèlera ce que nous savions de notre époque sans avoir pu le dire clairement, celui-là aura compris la leçon de Pokémon. Les monstres de poche lui auront appris à manier les mots comme s’ils étaient des images, et inversement, à construire une intrigue à la fois souple, et certaine de ses fins - il faut devenir le meilleur dresseur, mais bien des chemins y conduisent - , à imaginer des territoires communs à tous, dans lesquels chacun peut se reconnaître - forêts mystérieuses où dénicher de nouveaux monstres, villes pleines d’embûches et de promesses, cercles des juges suprêmes- et où le village planétaire peut confronter ses différences. Oui, celui-là saura trouver la forme dans laquelle une époque pourra se reconnaître.
Mais peut-être la première de ces œuvres est-elle déjà en train de naître ? Certainement même. La seule chose dont on ne puisse douter c’est qu’elle sera un jour là. Je voudrais tellement que ce soit moi qui la réalise. Tiens, je vais me mettre à jouer à Pokémon.

Xavier Malbreil

 

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Intervention colloque de Rennes2 "Ecritures en ligne", 26.09.02 Télécharger - 40 ko en rtf
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Analyse du récit/ Serial Letters

Interview manuscrit.com Août 2002

Le Travail de la Forme - Publié dans le magazine Archée

Les formes libres - Communication pour les journées d'étude (15-16-17 mai 2002) de Paris VIII

Comment j'ai découvert l'é-criture - Publié sur www.e-critures.org

Pourquoi je suis jaloux de Pikachu - Publié sur www.agraph.org

Interview pour Marie Lebert

Interview pour www.manuscrit.com