Rencontre avec Xavier Malbreil

en ligne jusqu'au 15 Mai 2001 sur http://www.manuscrit.com/Edito/invites/Pages/AvrilMulti_Ecriture.asp

Qu'est-ce l'e-criture ? Une variante de l'écriture, certes ! mais comment fait-on le tri dans la littérature dite "électronique" ? En quoi l'informatique a-t-il créé une nouvelle forme d'écriture ? Xavier Malbreil écrivain de la génération "multimédia" écrit sur Internet depuis 1999. Il est l'un des membres fondateur du site « e-criture.org » : un portail sur la littérature électronique et ses différents genres. De la disquette au cédérom, c'est au tour d'Internet d'accueillir en son sein une génération d'écrivains, pour qui le web s'est érigé au rang de médium, ouvrant ainsi un véritable espace de création.
Pourtant, malgré la volonté, à l'origine d' Internet, d'abolir les contraintes géographiques, le réseau mondial n'échappe pas à la règle des périphéries et des centres autour desquels gravitent les écrivains. Quelques pôles de la littérature multimédia : le site de eliterature.org aux Etats-Unis, le site de Beat Suter en Allemagne, l’Infolipo à Genève, le site de Caterina Davinio en Italie, le site de l’université de Montréal au Québec, en France l’université de Saint Denis (J. P. Balpe, J. Clément), Villetaneuse (J-L Weissberg), et le dernier né é-criture.org… Avec la création du groupe de discussion "écriordi" à partir de la revue "Alire n°11" en 1999, la dynamique collective présente dès 1996 autour des théoriciens et des créateurs "multimédia" : Philippe Bootz (mots-voir), Philippe Castellin (docks), Annie Abrahams, Patrick Henry Burgaud, s'enrichit de nouveaux arrivants. Le 16 décembre 2001, "écriordi" est rebaptisée "e-critures" , une formulation lancée par Julien d'Abrigeon [BoXon, TAPIN], à la manière d'une boutade, « pour parodier les divers e-commerce, e-bourse, e-loterie, etc. »
Aujourd’hui, le groupe est véritablement emblématique des différents genres "électroniques" pratiqués. Pour y voir plus clair dans ce magma créatif, voici un premier classement (non exhaustif) proposé par X. Malbreil. Pour briller en société, il vous faudra donc distinguer : "la littérature hypertextuelle" (Lucie de Boutiny) et/ou interactive, "la poésie sonore et la poésie cinétique" (Julien d'Abrigeon, Gérard Dalmon), la génération automatique de texte (J-P Balpe), le mail-art (échanges par le courrier), le net-art (jeu autour des fonctions du navigateur), la littérature multimédia (mixage de visible, de lisible, de son…).
La dernière invention en date de la liste est la lecture/écriture collective où les écrivains mêlent leurs "e-critures", sur un espace du site intitulé "oeuvre collective". Le site e-critures.org naît le 27 janvier 2001 dans le but de "pérenniser ce que le groupe de discussion peut avoir d'éphémère".
Xavier Malbreil remplace Eric Sérandour, comme modérateur de la liste. Son rôle est désormais de "veiller à l'inscription des nouveaux arrivants, animer les débats quand le besoin s'en fait sentir, proposer des initiatives qui sont ou ne sont pas adoptées par les membres de la liste." C'est en cette qualité, mais aussi comme "co-auteur de la page de création collective", et " initiateur de certaines sections" qu'il répond à nos questions.

 

Quelles différences faites-vous entre l'écriture et l'é-criture ?

La césure dans le mot "écriture" nous indique qu'une rupture a eu lieu avec la littérature traditionnelle. Et que cette littérature sur ordinateur ne se crée pas sur ordinateur faute de mieux, avant éventuellement d'être transférée sur livre - qui seul serait noble, honorable - mais qu'elle ne peut exister que sur ordinateur. La rupture est là. Le média a créé un nouvel art, et la nouvelle dénomination entérine cette réalité.

En quoi le site est-il complémentaire de la liste de discussion?

Le site et la liste de diffusion sont en parfaite synergie. Sur la liste, nous lançons des sujets de débat. Les uns et les autres rodent leurs arguments théoriques, avant de les formaliser sur le site, en écrivant par exemple une contribution théorique. Le site nous permet également de réaliser les projets d'apparence utopique, comme cette oeuvre collective.

Comment a débuté e-critures.org ?

J'ai proposé aux membres du groupe de discussion de créer ce site pour plusieurs raisons : - offrir aux lecteurs intéressés par cette nouvelle forme de littérature un site clair, synthétique qui donne quelques repères théoriques sur nos conceptions différentes de la littérature sur ordinateur. Construire une porte d'accès, en quelque sorte. - proposer aux membres de é-critures qui désiraient s'impliquer dans une oeuvre collective de le faire sur un site nouveau. Afin qu'un certain anonymat soit possible. - regrouper les praticiens de é-critures au sein d'une plate-forme de créations, de propositions, et d'actions, et construire peu à peu le moyen de populariser nos démarches respectives.

Pouvez-vous décrire le site à nos lecteurs ?

Plusieurs sections composent le site www.e-critures.org - E-crivains : propose un jeu de questions-réponses à plusieurs membres de notre groupe. Ce questionnaire est ouvert à des intervenants extérieurs, évidemment. - Théories : offre une série d'articles théoriques au lectorat dans le but de permettre un accès rapide à cette nouvelle littérature sur ordinateur. - Oeuvres collectives : est une expérience assez originale dans le sens où le webmaster du site, Gérard Dalmon, a communiqué à l'ensemble du groupe les codes d'accès pour le téléchargement des données vers ces écrans d'oeuvre collectives. Ainsi plusieurs créateurs sont intervenus sur notre première oeuvre collective "WC Field", et parfois au même moment ! Ce qui peut sembler très difficile à gérer (avec tous les problèmes que l'on suppose de maladresses techniques, qui amèneraient par exemple tel intervenant à effacer le travail de son devancier, etc.) se passe finalement assez bien, dans le respect mutuel des uns et des autres. - Showroom/News : donne une sélection de l'actualité des manifestations autour de la littérature hypertexte. - Lien : liens choisis vers des sites ayant les mêmes préoccupations.

Qu'est-ce que "WC field" ?

WC Field est la première oeuvre collective en ligne sur le site www.e-critures.org. Quatre ou cinq participants ont transféré sur le même écran les données sons, images, animations, textes. L'un des intervenants de la liste de diffusion avait comparé cette oeuvre collective au mur des toilettes d'autoroute sur lesquelles chacun dépose son graffiti (d'où le nom qu'ironiquement Gérard Dalmon a donné à cette oeuvre "WC Field") : l'autoroute/le réseau en tant que flux, et récit de la destination, récit de toutes les âmes en transit sur le ruban gris, récit de tous les départs et de toutes les pertes, récit de toutes les rencontres qui ne se feront jamais et qui se croisent sur le MUR/L'ECRAN de la page collective. Et qui chacun, chaque récit de l'errance, laisse une trace de soi, un appel au secours, une affirmation péremptoire, une participation à la grande oeuvre de tous, ce récit impensé, éternellement inabouti, et dans lequel toute vie se déverse, si bien que ce mur, des toilettes de l'autoroute est en lui-même la direction. La justification de ce travail, cette oeuvre collective, ne sera jamais cernée, véritablement, car toujours un ajout viendra tout détruire, et un nouvel ajout tout reconstruire, comme font les vagues également, récit du transport, et de l'achèvement, récit de nulle part.

Comment envisagez-vous le « multimédia », le rapport du texte avec l'animation, le graphisme, le son ?

Pour être le plus concis possible, je vais parler d'un écueil et d'un espoir. Un écueil : que l'escalade technologique promise par les techno-enthousiastes transforme la littérature hypertexte en ...animation, ou en film, ce qui lui ferait oublier son projet initial qui est la...littérature, ou du moins l'exploration de nouvelles formes de littérature. Un espoir : que la technique soit mise au service des artistes, et donc que les outils à notre disposition se simplifient toujours davantage.

Quel est le nouveau statut de l'auteur qui en découle ?

Le passage de l'écriture/littérature traditionnelle à l'écriture/littérature multimédia est le passage de l'unique au multiple. Un écrivain papier écrit en général seul, et à destination d'un lecteur seul. Une oeuvre multimédia se crée souvent à plusieurs, et sa lecture en est souvent collective : une équipe se répartissant les tâches; plusieurs personnes réunies devant un écran commentant telle ou telle animation, suggérant de cliquer à tel ou tel endroit. D'autre part, même si le créateur d'oeuvre multimédia est seul, il devra se servir de logiciels de création graphique, d'animation, qui ont été créés par des équipes nombreuses, et qui portent la marque de cette diversité/pluralité. En résumé, ce nouveau praticien de l'écriture devient un chef d'équipe / ou doit compter sur la diversité des outils employés, à travers laquelle il touche la pluralité.

Un nouveau lecteur aussi ?

De même, le lecteur d'oeuvre multimédia peut parfaitement être seul devant son écran. La multiplicité des postures qu'il adoptera (près de l'écran, loin de l'écran, jouant de la souris, tapant sur le clavier, etc.), la diversité des sens sollicités, la variété dans la perception de l'espace, font de ce lecteur/navigateur un être multiple - tantôt passif, tantôt actif -, utilisant toutes les dimensions de son être (physique/intellectuel) et non plus seulement la seule dimension intellectuelle sollicitée au cours de la lecture d'un livre. Ce nouveau lecteur peut lire à plusieurs, et de plus la dimension corporelle n'est plus négligeable. Il est lui aussi multiple.

Pensez-vous que l'informatique ou la programmation puisse un jour être considérée comme un art au regard des institutions politiques, académiques?

C'est en partie le sens de notre action au sein du groupe é-critures. Promouvoir notre activité, la faire reconnaître. Certains membres de notre groupe se sentent plus concernés par les problèmes de droits d'auteur. D'autres se soucient davantage de théoriser notre démarche. Mais nous avançons dans la même direction qui est le souci de faire partager notre intérêt pour cette nouvelle pratique.

Quels sont les prochaines évolutions du site prévues ?

Le groupe constitué autour de é-critures va très bientôt se donner un instrument supplémentaire de proposition et de fédération en se constituant en association, ce qui nous permettra de : lancer une lettre d'information mensuelle qui fera le point sur les littératures de l'ordinateur ; créer de nouveaux supports pour nos créations, comme un CD-Rom collectif par exemple ; initier des réflexions approfondies sur divers thèmes liés aux littératures de l'ordinateur.

Le site http://www.e-critures.org/
L’adresse du groupe de discussion http://www.egroups.fr/group/e-critures Quelques pôles de la littérature multimédia
Le site de eliterature.org aux Etats-Unis http://www.eliterature.org
Le site de Beat Suter en Allemagne http://www.hyperfiction.ch/
Le site de l’université de Montréal au Québec http://www.umontreal.ca
L’Infolipo en Suisse http://www.unige.ch/infolipo
Le site de Caterina Davinio en Italie http://vitali.firenze.net/box111/davinio.html
Le site du département hypermédia de Paris 8 http://hypermedia.univ-paris8.fr

Propos recueillis par Aurélie Cauvin

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Interview manuscrit.com Août 2002

Le Travail de la Forme - Publié dans le magazine Archée

Les formes libres - Communication pour les journées d'étude (15-16-17 mai 2002) de Paris VIII

Comment j'ai découvert l'é-criture - Publié sur www.e-critures.org

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